Manifeste pour le juste droit d'auteur

 

Le droit d’auteur actuel se limite à la forme d’une oeuvre de la pensée. Le fond d’une oeuvre de la pensée se confond avec cette forme. Si l’injustice et l’inégalité n’échappent à aucun auteur, cela ne lui met pas en évidence la cause qui le rend victime ou privilégié. Un auteur dispose seulement du droit de pouvoir profiter financièrement de la vente quantique (quantitative) de son oeuvre.

Toute oeuvre de la pensée se trouve aujourd’hui rabaissée à un vulgaire produit de série, à la plus commune des marchandises, dès lors qu’elle est principalement jugée selon le nombre d’exemplaires vendus. C'est dire que le prix éclipse la valeur, lorsque le prestige vient d’une offre ou d’une demande, ou des médias, et non point d’un tiers neutre instruit. Il y a, dès lors, asservissement à un marché unique, partant d’une valeur marchande unique, assistée d’une pensée mercantile unique, et qui s’opposent ensemble à la reconnaissance de la valeur authentique convenant à la chose créée par l’esprit humain. D'autant qu’il n’existe pas de critères de ce qui fait précisément cette valeur-là. La lacune est à combler par quelque principe neuf et à définir.

Ce qui caractérise fondamentalement l’oeuvre est exclusivement la création d’information nouvelle et meilleure qui entre en un genre, prend une forme. Il faut que l’oeuvre enrichisse l’humanité par elle-même, c'est autre chose que de l'argent. Sinon il n’y a que production, réplication, interprétation, répétition, orchestration. Ou si l’oeuvre ne tient qu’à faire plaisir, à soi ou aux autres, alors autant reprendre du "poil de la bête".

Quand je sème dans mon jardin un petit paquet de haricots, j’en récolte mille fois plus. C’est merveilleux mais vient toutefois après la création du haricot. A l’inverse, pour tirer quelques maigres intérêts, il faut placer de gros paquets en banque, et la récolte du capital passe même avant les semis du travail. Ceci n’a rien de merveilleux car l’absurdité de la génération d’argent et de sa reproduction est telle que personne ne s’aperçoit de l’entropie (de l’état de dégradation) du travail, que révèle pourtant   le chômage !...

Et comme cela ne se comprend point, alors personne ne peut, ne veut faire barrage au cours de la bourse. Aujourd'hui toute politique dévale avec une multi pollution existentielle. On laisse aller, comme l’on avale tout, d’abord les dernières saletés de surface, puis les vieux déchets raclant les fonds, témoins de notre horreur économique. Au lieu de ramer en amont, de remonter vers une source, de longer quelque rayon de lumière et qui, en l’absence d’horizon, ne pointe plus. Monsieur Homais coule, madame Homais nage. Un livre finit en queue de poisson. Pour celles et ceux qui encore "bossent", produisent, gagnent leur vie comme si elle était un jeu, consomment, puis baisent et s’endorment, avec l’espoir de déboucler cette ceinture de mort pour un réveil de plus encore.

Alors avis aux auteurs : râlons au moins avant l’extinction des feux ! Exigeons le droit à la rétribution honnête et raisonnable de toute oeuvre fondamentale par "chèque provision" (non par télémendicité), d'après sa valeur concrète et authentique de fond, sa nouveauté, sa vérité, son idéalité, son objectivité intrinsèque. Et laissons le public payer la forme de l'oeuvre faite d'opinion, crédibilité subjective, monétisation abstraite, représentation. Aucun genre commercial n'est affaire d'auteur, d'inventeur, d'imaginateur, de créateur. Un auteur n'est d'ailleurs plus propriétaire de son oeuvre, en l'actuel marché chrématistique poussé à bout, livré à la vénalité absolue !


Notre Sécurité sociale est un exemple-type d'une grande oeuvre fondamentale handicapée par l’argent, et laquelle marche !...Dont le trou budgétaire ne peut pas être comblé - a d’ailleurs toujours existé. Parce que la Sécu est une oeuvre socialiste qui doit tout à la société - aux luttes du peuple, non à l'Etat -, laquelle dispose de ce droit politique immanent et du devoir institutionnel de créer d’office un « capital provision » indispensable, nécessaire. Rappelons qu'il s'agit d’assurer la santé qui est le plus éminent droit de l’homme !

En suivant cet exemple, à l’avenir ce capital pourra précéder le travail et non plus le suivre, non plus être produit suite à la production de biens; il sera placé au devant de son produit et non après lui ! Oui, demain, l’argent devra se créer de raison par la pensée, à l'image de celle-ci qui précède toujours l’action. Car la richesse créée par le travail ce n’est point de l’argent mais du bien matériel, un service utile ! Et c'est ainsi, alors seulement, que le monde économique aura fini de marcher sans tête !

1996

Mon ami lit et relit ce manifeste, se gratte la tête, semble réfléchir, et émet ce jugement : - Si je comprends bien, tu demandes aux auteurs de scier la branche sur laquelle ils sont assis. Tu leur intimes de renoncer. Et tu leur suggères vaguement un système de droit... utopique (?).

Je réponds : - J'invite à penser. C'est-à-dire à raisonner, à la lucidité, à la franchise, à faire aveu de vérité.

" Je trouve indigne le fait de ramasser de l'argent en dormant, de se réveiller chaque matin le sachant, et sans avoir rêvé. "

- T'en fais autant, non ?

- Oui, si tu veux parler de ma pension, de ma retraite. Mais ceci ne concerne qu'un dû, le remboursement d'une cotisation effectuée pendant des années de travail productif en choses utiles. Ce n'est pas le cas, c'est vrai, concernant mes autres revenus, intérêts de placements.

- Que tu encaisses en dormant.

- Oui comme beaucoup d'autres. Mais je n'approuve pas le droit de le faire. Je n'abuse pas pour autant de ce privilège, puisque je le condamne ouvertement et propose autre chose ! Il y a abus de droit d'auteur lorsque l'on trouve normal, que l'on justifie ce qui est socialement injuste ! Je ne suis pas benêt, ne propose pas du partage.

- Tu proposes de s'asseoir sur une branche pourrie...

- Oui, pour faire poids... Un auteur-interprète abuse d'un droit, touchant des revenus proportionnellement au nombre de CD, de livres, qui seront achetés. S'il a droit à bénéficier de son oeuvre, il n'est pas naturel, point honnête - quoique normal, légitime, légal - de s'enrichir indéfiniment sur la seule quantité en cause !

- L'auteur n'a pas le choix.

- Et il a tout intérêt à bénéficier de la manne qui lui tombe du ciel marchand. Mais il faut qu'il prenne conscience que son oeuvre loin d'être jugée selon sa valeur intrinsèque, l'est uniquement en fonction du nombre de ventes. Autrement dit : le critère retenu est essentiellement la consommation de son oeuvre érigée en marchandise profitable - même s'il n'est pas le seul impliqué dans l'affaire. Mais c'est bien parce que cette activité n'est pas évaluée , selon des critères objectifs de fond. Tout ici n'est que formaliste, subjectif, versatile, ludique, rendu valeur marchande. Et tous les profiteurs de ce traitement lucratif équivalent à leur marchandise, prennent d'évidence une tournure d'esprit vénale, ne peuvent pas se conduire autrement.

- Tu fais l' impasse sur les applaudissements, l'admiration d'un public, la joie apportée.

- Pas du tout ! Car cela contribue même à l'indignité des auteurs, créateurs ou interprètes. Sur scène, en spectacle, cette gratification ostentatoire ne se justifie point, puisque les auteurs en question n'abhorrent pas leurs privilèges matériels obtenus en coulisse. Excessifs, donc, leurs revenus immatériels !

- Mais aucun ne fait acte de contrition, ne le peut, ne le veut. Chacun se dit "pourquoi moi ?..." Tous pensent que cet acquis est légitime. Le droit d'auteur n'est-il pas universel ? Sous capitalisme, les profits ne sont point indus mais mérités.

- C'est un privilège de certains. Bien sûr, les artistes de variété, les faiseurs de télévision, sont en l'occurrence pris en exemples, portant le chapeau. Tous les non-salariés de la société disposent de revenus parasitaires. Vrai ou faux ?

- Bien vrai. Je suis resté un salarié. Mon salaire était tout autre chose. Sans tricherie possible. Si tous les boulons que j'ai serrés dans ma vie me rapportaient, par droit d'auteur, comme je serais riche ! Et c'est aussi en tant que tel que j'ai besoin d'applaudir... On exploite ce besoin-là, comme un patron a profité de mon travail d'ajusteur-mécanicien.

- Souhaiterais-tu que les salariés touchent également des droits d'auteur ?

- Mieux : que tous les citoyens, sous égalité, fraternité, liberté, et par cette devise, se conduisent en vertu de salariés, ne touchent contre leur travail qu'un salaire !

La conversation s'arrête là.


Le droit d'auteur fera problème de conscience, tôt ou tard, pour ceux et celles qui en bénéficient. Que les autres, tous les salariés, dénoncent cette situation, protestent contre cet abus de droit, ou non. Viendra le temps où la honte ne sera plus bue mais manifestée...Oui, et ce sera aussi le jour où les salariés cesseront d'applaudir ceux qui auront pu se faire bâtir villas luxueuses et s'offrir multiples avantages rien que pour avoir su tirer sur une ficelle. Ce n'est pas encore demain, qu'en bonne conscience, l'on pourra mériter l'applaudissement. Mais un lendemain ...

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