L' ERE QUANTIQUE

 Le rétroscope devait me permettre le retour dans le passé par la compression du temps. Et ce fut l’espace qui se révéla de plus en plus petit, restreint au point, de sorte qu’il me fallut recourir à un agrandissement, à une nouvelle mise au point de l’appareil. Mettre la chose « au point » n’était plus cette expression qui s’accomplissait généralement en vain. Cette fois, ce que je saisis sur l’écran du rétroscope n’était autre que le point Oméga, multiplié jusqu’à pouvoir former une profondeur de champ, le rendu microscopique d’un objet d’étude ou de recherche, en termes de particules nucléaires. Non sous forme d’image par résonance magnétique du cerveau émetteur de la pensée, mais comme la vision du champ qui compose la pensée elle-même !

Certes l’homme avait ouvert la voie d’autres manières, signalisé le visuel de différentes façons et depuis longtemps. D’abord à l’aide du langage gestuel, puis phonique, pictural, lexique, photographique, cinématographique et, en dernier lieu, au moyen d’images vidéographiques. Partant de la reproduction d’une fixation figée des choses à leur image mouvementée, mais toujours en deux temps et sur deux dimensions; l’image holographique à trois surfaces, statufiée dans l’espace, resta en réalité plate, à la façon d’une boîte en carton simplement dépliée dans l’espace et le temps. La caméra s’était spécialisée en l’agrandissement des rides sur les visages, longtemps sur un grand écran blanc, avant que la télévision remît ce développement au point, c’est-à-dire donnât à voir la vie de dimension réduite à un petit écran magique balayé électroniquement toujours et encore par une quantité définie de petits points.

Ainsi commença l’histoire d’un grand coeur émotif et solitaire s’en allant à la rencontre d’un commun diviseur, en poussant le berceau d’une petite raison naissante. Ce départ s’accompagna d’art rupestre, se dirigeant vers la science fondamentale en attente sous une voûte cérébrale. Et quand guidé par la dialectique d’une pensée imaginative, que longtemps une « logique du substitut d’identité » se chargea de mettre au point, le front humain finit par refléter la conscience prééminente du simple « principe d’identité» de cette logique. Celui-ci refléta donc un accomplissement, une prouesse d’oeuvre divine !

En passant de multiples et différents systèmes analogiques compliqués, créés depuis la nuit des temps, à l’unique système numérique simplifié à l’extrême, l’espace d’un grand jour arriva. L’homme s’approcha du langage génétique de Dieu, du plus réduit qui fût, composé d’un alphabet à quatre lettres de base chimique : A-T-C-G; et il s’empressa même de le dépasser, puisqu’il inventa une base physique (la polarité électrique) constituée seulement par deux signes, le (+) et le (-). Donc, pendant qu’au grand jour comme un serpent s’en allant hiverner, l’écriture linéaire descendit de branche en branche à l’arbre de la connaissance, décrivant des zéros et des uns, pour former un langage binaire en termes de bits exprimant des charges électriques. Après avoir été tenté de monter au ciel (par l’astronautique, etc...), l’homme redécouvrait des racines (Dieu par le génie génétique et l’électronique).

Ce fut, entre autres, l’invention du rétroscope caractérisé par la mise en image directe de la pensée et plus précisément par un balayage en profondeur, tridimensionnel, de la conscience de cette pensée.Un peu comme celle-ci se réalise derrière le front humain à la manière de cette énergie particulière appelée esprit, et qui se traduit par un champ « bioquantique ». Là se visionnent directement les schèmes cognitifs, la signalisation stéréotypique de ce que pense le sujet assis en face d’un écran. L’auteur s’introduit en fait en sa pensée, la voit comme son visage dans un miroir. Et c’est ainsi que je commence à voir apparaître, aujourd’hui, ma propre pensée...

Il me fallait être seul, isolé, afin de ne pas être parasité par la pensée de quelqu’un d’autre, et laquelle aurait pu se croiser avec la mienne, interférer. J’ai par précaution débranché le téléphone, fermé même les volets pour ne pas me trouver en vue, fût-ce d’un oiseau sifflant, d’un virus désinformant. Certes mon appareil porte encore en soi le risque de se trouver dépossédé d’un « moi », tant que ma liberté de penser est dépendante d’autrui, en tout cas reste existentiellement asservie, conditionnellement quantifiée. J’ai la ferme conviction de disposer néanmoins de la meilleure méthode pour ne plus faire l’homme contraint et forcé par son entourage. Avoir enfin l’instrument de libération de la conscience, le moyen d’appliquer le droit à disposer de mon autonomie réelle d’humain ! - et sans besoin d’en revendiquer le pouvoir.

Ce que j’ai à dire a donc tellement d’importance quantique que cette idée m’apparaît , paradoxalement et précisément unique !
Du quantum réduit à ce point, il faut le voir ! et je commence à le voir. Oui ! voici... Une vision se met de mieux en mieux au point. Une image se forme point par point. A n’en pas croire ses yeux et, pourtant, j’aperçois bien ma pensée !...Je la vois plus précisément en train de prendre conscience ou, autrement dit, cette conscience se matérialiser, s’ordonner sur un écran, devant moi ! A la réflexion, après coup, cela ne m’étonne plus, vu l’histoire de cette pensée, vu l’évolution technologique de sa mise au point, du fond de l’âge des cavernes au temps des studios d’enregistrement. Il faut même que je me répète...

Je la vérifie à présent, je l’analyse cette pensée. Oh ! la voici...donc doublée. Je pense donc je suis et suis puisque je pense. Avant, je n’existais pas en tant qu’être pensant, à peine en tant que roseau. Les autres ne me voyaient point en passant à côté de moi. Car nous étions de si nombreux roseaux tant serrés les uns contre les autres que nous nous ignorions par la pensée. Elle planait. Le vent avait pris la place de nos échanges en nos têtes penchantes se pliant au souffle. Moi-même je n’avais aucun sens du commerce, du business, d’une demande faisant suite à quelque offre qui toutes deux m’humiliaient, me répugnaient. Car je savais combien tout ceci reposait uniquement sur du nombre qualifié de valeur et laquelle était même honorée par un prix, en supplément. Un comble ! Je m’étais déjà isolé par la pensée dans la foule, rendu inconnu parmi le connu, anonyme d’esprit. Je marchais en être seul, à la conscience inexprimée, non entendue, point écoutée, ni même attendue. Pas davantage en instance de communication que d’échange de "fric" contre du toc. Je n’étais pas de ce monde-là, un point c’est tout ! Je peux enfin être, aujourd’hui, dès maintenant, un auto-interlocuteur.

Certes, je pensais depuis toujours qu’il ne devait pas exister d’antagonisme entre la volonté de réalisation de la personne humaine et son but de civilisation sociale. Nietzsche s’opposerait-il à Marx ? Ils sont dos à dos, font pile et face. L’individualisme n’est rien moins que la fracture d’un collectivisme. Le particulier est bien l’obligé d’une assemblée générale, non ? Le moi fait un grain de sable d’un bâti cimenté ou encore se laisse emporter par le flot. Il n’y a pourtant aucun mérite à dévaler un cours, même en nageant plus vite et tout seul. Il faut le remonter à contre-courant, ramer fort, à plusieurs, tant qu’il y aura des galériens - des salariés. Toute manifestation d’esprit solitaire a besoin d’un coup de main. Il faut parfois même beaucoup de sales mains pour briser la chaîne qui lie ses propres mains. Nietzsche nous attend au tournant si, cependant, l’on fait courir plusieurs pieds en laissant tomber le relais des mains. En tout cas, Marx ne s’oppose pas à Nietzsche ! La société ne se réduit pas à l’individu, ils ont besoin l’un de l’autre, dès la fécondation (1).

L’ordre, de l’individu à la société, s’accompagne du désordre, tel l’inorganique précède l’organique puis mort succède à vie. En ce sens, le marché capitaliste objective actuellement un désordre, et parfaitement. Il ne peut plus offrir la réalisation de soi et il craint donc d’autant la solidarisation entre nous. Il n’est tolérant que de forme car intolérant par définition. Marchander, voilà l’offre roulant une demande. Comme un galet sous flot. Capitaliser, c’est s’approprier, accaparer : argent, usage, produit, emploi, pouvoir, droit, liberté, ...tout. Non !?

Tant que sévit l’inégalité sociale, l’intérêt individuel ne peut cependant que s’opposer à l’intérêt général. Par définition, la liberté de la personne humaine réalise pourtant la politique sociale. L’augmentation des abstentionnistes électoraux est l’un des exemples de cette querelle de ménage nationale. Pas besoin d’évoquer mésentente entre domaine public et entreprise privée, incompatibilité entre conformisme conservateur et socialisme velléitaire. Tout cela n’est que du phénoménal, du superficiel, de l’existentialisme ou de l’individualisme dont aucun ne se réduit à l'égoïsme. L’égocentrisme peut autant rayonner qu’attirer. L’orgueil n’est pas un défaut du moi mais un état défensif de soi par rapport à autrui. Le monde capitaliste se nourrit de ces états isolés, de ces cas séparés, de ces figures livrées. Il faut que chacune et chacun soi-même se délivre de ce système qui englobe, phagocyte. Les citoyens auront du mal à rattraper la fraternité qu’ils ont laissée s’enfuir...

Nous vivons depuis trop longtemps à l’ère quantique de la démesure, en une sorte de mouvement perpétuel, de croissance infernale. Tous les échanges se caractérisent aujourd’hui en termes de mercantilisme et de démocratisme de marché envahissant la Terre, selon des régimes politiques qui satisfont et l’individualisme et/ou un collectivisme. Ils n’ont pas à se contredire, car ils se font supporter par les mêmes normes, jouent partout les deux faces de la semblable monnaie. Ils indiquent à tous le faux but, le non-sens, l’antithèse de la direction espérée, la négation des droits de libération de l’être pensant, l’aliénation à un devoir collectif inavouable pour chaque conscience. Le rôle narcissique qui existe en chacun empêche de voir la fonction commerciale dégradante imposée à tous. En se regardant sur écran de rétroscope, Marx verrait Nietzsche et Nietzsche verrait Marx. Le dommage d’être en avance est pareil à celui d’être en retard sur le progrès technologique.

De vénérables auteurs profitent de l’ère quantique sans scrupule, dans la mesure où ils bénéficient d’une publicité médiatique gracieuse et même sans l’avoir sollicitée. La "télé" les encense d’après leur chiffre de vente. On leur délivre un « disque d’or » selon que leur oeuvre atteint le nombre de zéro alignés indispensables à une vitesse de carrière. Et les promus se gardent de dénoncer la mascarade, sachant trop combien cela leur coûterait la face. Simiesques, ils ne peuvent scier la branche à laquelle ils se tiennent. Ce soutien obscur dans la jungle du nombrilisme barbu, représentée par des feuilles - des billets de banque - à l'entour de branches, se complète d’un soutien de façade formé d’un public avenant qui ne se pose pas de question. Le droit d’auteur agrée par devant de courts applaudissements et de longs revenus par derrière, hors scène. Il suffit de savoir faire vibrer de l’air, même sans guitare. Un écrivain doit, lui, user de gros rouleaux de papier provenant des arbres de cette jungle, et générer là-dessus le plus de mots possibles. Les Américains se sont rendus prolifiques en la matière. Eux produisent les plus gros volumes, racontent des histoires de familles qui s’approchent forcément des nôtres. Il n’y a pas plus doués qu’eux alors, pour aller pêcher du numéraire à la ligne.

Celui qui a la malchance d’avoir une maladie relativement rare, ou simplement un problème trop cher à régler, ou une information riche qui ne se prête pas à la copie générique, doit se passer de résoudre son besoin. Il lui faut, par exemple, acquérir tel médicament de "bonne-femme", quand personne ne veut inventer le remède qui risque de ne se vendre qu’en petit nombre. Ainsi la quantité d’information nécessaire à résoudre un problème apparaît inversement proportionnelle à la quantité d’information connue sur ce problème : le coût devenant dissuasif. Triste nombre, pauvre valeur quantique.

Oh ! Stroupfi vient de sauter sur la console du rétroscope. Cette chatte n’en loupe pas une. Elle fausse ma pensée ! Ce ne peut être sa queue qui balaie l’écran, ni sa patte, et ni son clair regard vert si interrogateur, car elle tourne le dos à l’appareil et par conséquent... Mais pourtant, il se superpose une curieuse image rougeâtre sur celle qui rayonne bleutée et plus froide depuis mon front. La bête me montre, en fait, son esprit audible, ronronnant ! Etrangement révélateur, non ? ...


J’en déduis sur le champ que : premièrement, cet animal pense à sa manière; deuxièmement, cette pensée environne sans doute sa tête; troisièmement, s’il y a esprit celui-ci siège partout, au-delà; quatrièmement, le cerveau qui réfléchit ne fait alors qu’organe de médiation, de réception puis de transmission, considérant le petit volume qu’il occupe; cinquièmement, ce que je pensais personnellement déjà à ce sujet s’avère juste. Je ne fais donc que vérifier, en somme, l’idée : si la neuro-physiologie cérébrale constitue un petit espace introgène, celui-ci s’entoure d’un champ d’interférence, forme un lieu de passage, une demeure éclatante rayonnant d’une manière exogène dans un autre monde, énorme celui-ci, plus enveloppant; immense, éternel, indivis espace qu’éclaire un laps de temps une bien courte et divise petite vie - celle de Stroupfi. Autres dissemblables reflets quantifiés qui se croisent et brouillent nos vaniteuses connaissances.

C’est bien l’ère quantique, la fuite en avant de l’homme, au cours de son auto-divinisation par l’argent maître après Dieu, ou le triomphe d’un labeur abstrait quantifié par l’argent, aux dépens de l’ouvrage concret, de toute oeuvre digne du même homme. Tel devrait apparaître, en tout cas, le compte à rebours, la mise à mort de notre espèce particulière, tant numéraire, toute entière. A qui ?A chacun !

Où ? Sur un tout petit écran innocent. Qui lui ne supporte pas le mensonge, ne feint pas, ne cache point, n’omet rien. Tout y est nu, devant et derrière la chair et dans et autour des os. Rien ne résiste au scanner de la pensée. Car il y a, ici, débordement normal des quanta, surplus des nombres, quadrature des plans, unité des fins. C’est la fin des fins. Chaotique tout grand nombre se rend malin, sauf quand il s’agit de son ordination logique qui seule peut alors le rendre divin.

Ne jaillissent-ils pas déjà de partout ces quanta en décompte, en cette fin de millénaire ? Tout est rendu nommément quantique, intégré sur ordinateur, en bits binaires, en langage numérique. Plus question de nuances, d’erreurs de calcul, de bande magnétique sensible aux parasites, de sillons déformant la voix, de mélodie modulable portée par des longueurs d’ondes.

Le signifiant moléculaire chimique originel est bien devenu un signifié numérique et formulé à plat, suite aux quatre majuscules divines (citées plus haut) traduites par des petits points sur un écran, un code-barre sur une marchandise. L’espace absolu courbant la relativité du temps, tout corps y perd son âme et le compte se réduisant est toujours bon, quand ce qui finit dépasse le néant, le commencement, se ramène à des polarités binaires. Se réduit à un champ électrique - électromagnétique. A des saluts sans adieu, pour personne. Hormis à Dieu, restant l’unique ! Sommes trop nombreux, et devenus concurrentiels.

Quantités qui ainsi se recoupent partout, ponctuellement, ayant envahi notre monde macroscopique, en partant de la mécanique (physique) quantique, depuis le monde microscopique donc, avec l’explosion nucléaire, sous le rayonnement corpusculaire. Oh ! que d’inflations de particules quantiques, pluri-singulières, toutes particulières, multi-moléculaires, sous redondance virale, par diversification infinitésimale d’objets matériels encombrants, par complexification pléthorique en sujets de remplissage de notre néant. Il a fallu aux hommes ce laboratoire des grands nombres, à la suite de la vision au microscope de l’infiniment petit. Il a fallu télescoper une mégalomanie avec la micromanie électronique. Comme si des générations de petits malins voulaient prendre la relève du grand Malin, la place de l’être unique, celle de l’inconnu, de Dieu se découvrant créateur indivis et immanent mais devenu impuissant. Il ne s’est encore jamais montré, en fait, ne se montre toujours pas, et pour cause, tant qu’en lui seulement l’on croit. Et si c’était autre chose que de nous, les hommes, Dieu attend ? De la compréhension. De la raison ma... foi !

Que l’on passe à la logique par notre intellection, que les grands nombres servent l’unique, la valeur authentique, le bon sens, l’objective vérité ! Que l’argent ne fasse qu’un moyen qui ne puisse pas servir en soi à une fin. C’est le travail, le savoir, et l’intelligence, qui créent toute chose ! Mais ce sont de nos jours de ces générations de petits malins qui se renouvellent quand le Malin remplace fort mieux Dieu arrivé à la fin de son oeuvre. Le divin travail ne manque point mais seulement le vilain argent du travail. Un troupeau de veaux est toujours partant à la quête d’or, et de pauvres bergers sont plus nombreux que jamais à la recherche d’un labeur s’évanouissant. Dieu même est obligé de se rendre à l’ANPE; les églises aussi n’ayant plus de travail pour lui.

Il faut pourtant, quand on n’a pas trouvé mieux, encore comme toujours, à la façon d’un commerce primaire, une certaine quantité de travail pour faire et mesurer la valeur marchande des produits et des services. Il faut une quantité d’offres de vente pour transformer cette valeur profonde en prix superficiel, comme il faut la quantité de demandes d’achat de consommation indispensable à ce que ce prix puisse s’exprimer sur un marché. Et cela tant qu’existe une quantité de besoins à satisfaire ou sinon pour susciter le désir d’une quantité espérée de plaisirs.Tout comme il faut la quantité conditionnelle de suffrages pour représenter et valider la quantité déterminante de bêtises politiques à l’entretien et à la pérennisation de cette civilisation quantique. Personne n’a donc encore osé mettre ceci à ce point en question, malgré le nombre de milliards de gens parasitant toute forme de vie en ce monde. Ne s’agit-il pas là d’autant de prédateurs en puissance, qui se mettent en des sacs quantiques, se réduisent et génèrent des créatures construites à leur image ? De quelle sorte ? Mais des robots ma foi, rendus maîtres après nous, les hommes, comme nous fûmes longtemps les esclaves d’un Dieu créé par nous, après avoir été les enfants du Paradis.

Et moi, seul face à l’écran de mon rétroscope, devant ce miroir de mon esprit, proche de mes mains devenues invalides, j’accuse la valeur marchande en usage d’avoir affaibli ma force de travail ! Je mets cette fausse valeur en cause directe de multiples effets qui se transforment en autant de causes indirectes - de ce fait, quantiques. Comment ?Mais lorsqu’une productivité se met à croître perpétuellement par la technique des hommes, cela signifie l’obtention d’une quantité toujours plus grande de produits avec une quantité toujours moindre de travail, non !? Et ceci se traduit par une valeur dégradée à l’unité produite, par une valeur marchande toujours plus négative. La loi de conservation de l’énergie n’est point violée, puisque l'on produit plus, mais la valeur du travail cristallisé en son produit unitaire se trouve dégradée, elle!

A mesure que la force physiologique et intellectuelle du travail cède la place à la force mécanique et informatique, les revenus financiers intégrés dans la valeur des marchandises subissent une dégradation proportionnelle. Cette dégradation peut être compensée par différents moyens; la compression d’emplois salariés illustre avec tant d’évidence ce phénomène qu’il est faussement interprété, se trouve sciemment occulté. Ce qui explique au moins la coupable irrationalité du marché capitaliste, sa crainte de la franchise, sa peur viscérale de la vérité, faisant se proclamer cette valeur en succès médiatique, à la façon du pneu crevé mis sous gonflage incessant.

Et notre démocratie s’enfile en ce marché à la façon de gants aux mains. Elle figure la mise à l’envers de la sélection naturelle qui est, elle, par définition, affirmation du meilleur possible, fonction de mise à l’endroit, représentation en fin de compte d’un positif. L’électoralisme est, par contre, une forme de sélection artificielle négative, car il ne produit d’abord qu’un plus, qu’une force quantique. Les élus sortent souvent comme les moins aptes à tenir ce qu’ils promirent, parce que la règle majoritaire légiférée apparaît déjà en soi un suffrage injuste, quand un tel rassemblement ne peut qu’être contingent, conditionné, indéterminé et non libre pour autant. Ce genre de démocratie est en réalité un leurre, un appelant à voter, à voguer par crédulité, à faire croire que des vagues font avancer quand elles ne font que porter. L’ère quantique est autant pleine d’illusions qu’il y a d’eau dans l’océan. Toute quantité de voix est ainsi mise en balance sur un horizon incertain, où l’on voit s’approcher une terre promise, l’Amérique laissant derrière soi la civilisation. Voter, c’est toujours pour une chose sortie d’un chapeau. Inutile d’espérer faire un choix.

L’ère quantique recommence perpétuellement lors de l'enseignement des connaissances où l’on privilégie le maximum de savoir, un débordement par accumulation.

Et tout semble toujours finir par le strict nécessaire utile à la conservation de telle quantité d’énergie abstraite concrétisée en argent s’accumulant à son tour. Le cycle se boucle par une thésaurisation, une richesse chrématistique. Puis l’on vote à nouveau, et tout se recycle. Pour remplir toute tête creuse, se débarrasser de toute sanction, faciliter la seule gratification possible, il faut nécessairement gagner beaucoup d’argent. Pouvoir le quantifier.

L’ère quantique est abstraite et entropique. A la fin d’un deuxième millénaire, l’état de la démocratie marchande le prouve, avec la restriction, l’économie exigée de la pensée. Arrive le temps où l’on ne pense plus, comme si l’on en savait trop d’un seul coup. L’homme est en un stade d’autosatisfaction, de méritant de ce qui lui arrive, de suffisance par conformisme. En cela il ne dépense plus de force subjective. Comme s’il pressentait l’approche de sa fin objective en ménageant sa pensée, la refusant. La conséquence de cette abstraction de soi est matérialisée en produits de consommation. Tout se trouve alors quantifié de nouvelle matière, en matériels, comme pour se dégrader au plus vite, s’accumuler en déchets et former la décharge collective d’articles les plus divers.

Les pêcheurs à la ligne se multiplient ainsi aujourd’hui en fonction des divers leurres habiles qui les épatent, les invitent à l’évasion. L’on dénombre d’autant plus de cormorans que l’on voit briller moins de flancs de poissons. Mais où va-t-on avec ces multiplications et démultiplications ?
Pour ma part, je ne vais plus à la pêche, lassé de rencontrer autant de bottes en bout de pieds qu’en fond d’eau, parmi d’autres objets usagés enfouis, sans parler des plastiques et préservatifs accrochés aux ramures et qui caressent tel cours. Quand par devant un marché à acheter oblige, il faut par derrière consommer et jeter.

A moi, il me reste le rêve qui m’emporte vers de beaux matins d’antan, le long de kilomètres de rives m’appartenant, car je n’étais pas même comptable dans l’immensité du domaine public. Je pouvais laisser danser le flotteur jusqu’à ce que dame libellule l’invite. J’usais de patience pour attendre, le soir venu, l’émersion et l’éclosion des éphémères. D’autres ouvertures de pêche n’eurent point besoin de publicité, comme cela se passe aujourd’hui avec le tourisme de masse - quantique.

La mauvaise quantification est la rançon de la démocratie de marché. La vraie valeur des choses est proportionnelle à leur rareté. Mais l’on nous fait avaler un suffrage, ce germe quantique qui dévore de dedans et de l’extérieur. Comme croissent les cormorans..., les virus malins en nous; alors que nos joies décroissent ...

L’affaire de l’homme c’est la vie et l’affaire de la vie reste la mort. De même que le problème qui se pose aux hommes c’est l’argent et le problème qui se pose à l’argent c’est le travail. On peut renverser ces propositions, cela ne change rien : l’endroit et l’envers font la même chose, comme vus dans un miroir. La solution finale est de dissocier tous ces facteurs, tel un rayon de lumière réfracté en spectre de couleurs, correspondant à des longueurs d’onde ou à différentes fréquences. Le problème est en cours de solutions dont chacune en pose un nouveau.
Autre problème...

L’ère quantique se caractérise à la base par la fabrication d’une quantité de capital accumulé par une quantité de travail dégradé du fait d’une quantité de forces productives que régit une quantité d’entreprises qui sont soutenues par une quantité d’élus représentant une quantité de voix prises pour celles d' une quantité d’imbéciles.


Après l’ère quantique du genre humain, il restera en effet tout à réduire et, de sorte surtout que l’argent ne dépende plus du travail. Il faut que le travail revienne à son unique et noble fonction originelle : produire une chose concrète effaçant tout travail. Car ce travail est représenté par l’argent qui devrait n’avoir qu’un rôle d’échange et non point être un but en soi. Le juste échange commencé exprime (impliquerait) la négation du travail, et l’échange terminé la négation de cette négation, c’est-à-dire la destruction de l’argent. Comme l’est toute onde affirmée porteuse mais restant libre. L’argent n’est au fond qu’un moyen de transport et non de circulation par lui-même. Il permet - devrait ne permettre que - d’égaliser un service ou un produit en lui attribuant la mesure de sa valeur en qualité de signe particulier.

L’argent existant pour le commerce entre les hommes et leurs choses prolonge le langage existant dans la communication des hommes entre eux-mêmes. L’argent n’a pas/plus à être une marchandise, en terme de quantité de capital se substituant à une quantité de travail pour régénérer ce capital en circuit fermé. En effet, cette quantité relative de travail devient de moins en moins nécessaire, se réduit comme peau de chagrin, alors que son volume absolu, en produits, s'accroît.

Le contenu de travail formant telle valeur marchande ne se confond pas avec la masse de travail formant du capital monétaire. Viendra bien le jour où l’argent devra se réduire à satisfaire uniquement, exclusivement, une quantité déterminée de besoins !

L’ère quantique elle-même se réduira en fin de compte à un point, tel un rayon de lumière ne formant d’un bout à l’autre qu’un point. Voilà aussi pourquoi Dieu reste insaisissable. Unique. Et cela sera ainsi tant que l’on ne comprendra pas la physique quantique dans ses macro-phénomènes...Ce que l’on croit ne correspond point à ce que l’on voit. La foi doit épouser la raison, puis rétroactivement....
Nous n’en sommes pas encore là !

Nous en sommes en fin d'ère quantique où l'argent est produit par toujours plus de numéraire, assuré par la liberté d'entreprise pour le reproduire. Que ce soit grâce à un lot de disques, de sacs de pommes de terre, de comptes bancaires ou de fétiches sexuels.

Je m’arrête. Il est tard. Peut-être trop. Je me débranche du rétroscope devant moi. D’un trait étroit, virtuellement infini, ma pensée modulée s’en va, de par sa longueur finie et réduite d’écran.

Seule Stroupfi revenue continuera de ronronner derrière ma tête endormie.
1996

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1) Ce n’est pas le spermatozoïde le plus rapide qui transmet ses gènes.
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En fait, notre spermatozoïde, aussi différent soit-il, n’aurait aucune chance d’entrer dans l’ovule si les autres spermatozoïdes n’étaient pas là autour de lui. Car chacun libère une enzyme qui attaque la « coquille » de l’ovule. Ce n’est que de cette association que pourra réussir l’entrée du spermatozoïde gagnant. Voici, à petite échelle, deux lois biologiques qui nous sont enseignées : primo, seul on n'arrive à rien; secundo, on s’enrichit en fréquentant ceux qui ne nous ressemblent pas.
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Bernard Werber, dans EURÊKA

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