PRODIGES

 

Je suis né à Strasbourg en 1931. Mère s’appelait Marie Madeleine Winterhalter et père s’appelait Joseph Wittmann. Couple prédestiné,...Car les Winterhalter étaient restés marqués par la colonisation romaine et ils adoptèrent la religion catholique. Leur capacité d’obéissance à l’ordre établi fut telle qu’elle les suivit d’une génération à l’autre. Ils transmirent même cet asservissement en leurs génomes successifs, exprimant cette mythomanie rendant innés des acquis plus ou moins heureux. Tel le sens artistique rejailli en la main d’un peintre célèbre qui se faisait entretenir par des reines sensibles à son talent - sensibilité héritée. Quant à ma grand-mère paternelle, elle avait dû être une femme tellement originale qu’elle dut souffrir beaucoup de ne pouvoir s’adapter à la vie des autres. Aujourd’hui je comprends pourquoi cette grand-mère là paraissait antipathique, puisque je la découvre également un peu restée en moi-même. Qualités et défauts nous marquent ainsi chacun, en nos gènes et notre inconscient, avec l’expérience de la vie pour les vérifier ou les corriger et puis, l’éternité pour les expier.

Les Wittmann étaient donc restés, eux, des païens et des proscrits mais non sans raison - qu’il me fallut redécouvrir à travers moi-même. Ils s’étaient réfugiés dans un de ces ghettos dont il subsiste les murs sur les hauteurs des Vosges. Pendant que les soumis apprirent à cultiver la vigne en bas, des milliers d’insoumis gaulois continuèrent à chasser tout en haut de la montagne. Père m’initia une fois, dans un petit ried de Balbronn au pied de ces Vosges, en ce village natal de ma mère, au lancer de la sagaie gauloise, à la manière d’une fronde. Je n’avais que cinq ans et je me souviens encore qu’il éminça au couteau un bout de bois en pointe plate.

Puis après avoir attaché une ficelle à la branche coupée d’un saule et formé un noeud à l’autre bout qu’il passa dans une écorchure de l’objet, il le lança si haut dans le ciel que je ne le vis plus. Ceci me paraîtra quelque chose de stupéfiant pour un homme de ce siècle, car père était autant à la pointe de la modernité technique que le constructeur d’automobiles Bugatti; il en possédait une.

Pour ne pas perdre le fil de mon histoire, je vous emmène entre parenthèses deux décennies plus tard. Je fis à cette époque de ma jeunesse un tour dans le Massif Central et visitai les grottes de notre Préhistoire. Je découvris avec stupéfaction dans un musée sous roche un objet ressemblant à la sagaie...de mon père. La lance primitive et authentique datait d’il y a plus de 10000 ans et elle avait été confectionnée en bois de renne.

Père avait essayé diverses façons légitimes et honnêtes de gagner sa vie. Mais il ne finissait jamais rien. A ma naissance nous habitions Molsheim. Nous étions en location commerciale, mère tenait le magasin, moi j’étais en nourrice, père allait aux provisions avec sa Bugatti. Un jour - je devais avoir moins d’un an - je glissai des genoux de ma mère au passage à niveau près de la gare et tombai par terre en heurtant la voie ferrée avec la tête.

Rien de bien méchant. Apparemment du moins. Second signe d’accompagnement, précurseur, ignoré en tout cas. J’étais tel un fils de Dieu, comme l’un de ses protégés, de ses chargés de mission en l’inconscient inconnu du peuple des humains connus. J’étais même de ceux qui ne croyaient pas en Dieu. Je venais en fait de subir le baptême du fer en entrée dans la vie. J’allais, peu à peu, de pressentiments en prodiges, devoir m’apercevoir d’une prédétermination.

A la fin des grandes grèves de 36, mon père avait dû s’expatrier d’Alsace, pour cause d’activité syndicale. Il était redevenu un salarié, avait dû vendre sa Bugatti, avait dû partir de son propre pays comme un étranger, pour trouver à gagner sa vie, abandonnant femme et enfant. Il s’installa d’abord à Knutange, à proximité des usines sidérurgiques lorraines, en vallée de Fensch, lesquelles embauchaient. Il nous fit venir par la suite, dès qu’il trouva un logement de famille à Uckange. C’était dans une grande maison sinistre, occupée uniquement par des émigrants.

Nous apprîmes à connaître une famille polonaise voisine qui sympathisa avec ces Alsaciens; et je commençai dès mon plus jeune âge à découvrir la solidarité naturelle de ceux qui subissent la même condition de vie. L’un des grands fils de cette famille de prolétaires m’apprit à jouer à la toupie dans la cour située juste au pied des écrasants haut-fourneaux, auprès desquels ce garçon trouva une mort atroce, bien plus tard, en tombant dans une poche de fonte en fusion. Père avait quelque six kilomètres à marcher pour prendre un train privé des Ets de Wendel, depuis Daspich. Il se levait vers trois heures chaque matin. En passant à Ebange, il trouva vite un autre logis. Nous déménageâmes trois fois dans ce dernier village, mais père s’était de beaucoup rapproché du petit train à vapeur...Nous disposions de si peu de biens qu'une charrette à bras suffisait en trois quatre voyages.

Notre dernière demeure se situa à l'intersection de la rue de Florange. Nous y avons séjourné les années de guerre. J’avais alors entre huit et treize ans. Père dut se sentir « protégé ». Les nazis avaient l’oeil sur les nouveaux annexés, surtout sur ceux au nom à connotation germanique. Mais père refusait toute avance et même jouait de son nom et de ses services sous le Kaiser en 14-18 en Argonne pour avoir la paix. Il en profitait pour écouter radio Londres...Sur de vieilles cartes d’époque, je découvris après la libération les villes soulignées par lui, au fur et à mesure de l’avance américaine.

 

Dire qu’il y a à peine un demi siècle, les ouvriers étaient réduits à se laver à l’évier de la cuisine, les femmes à laver le linge de leurs mains, à l’eau froide. Père avait économisé et offert une machine à coudre avec pédalier à ma mère qui en était fière. Moi je me contentai de jouets en bois, de crayons de couleurs; puis vers l’âge de douze ans, père me procura des boîtes de mécano. Il avait remarqué mes aptitudes à dessiner, à créer; la précarité me fit rester au... mécano.

Nous disposions d’un tout petit bout de terrain derrière la maison, en demi location. Père y avait construit une cabane à lapins et à canards. Il avait loué à plus d’un kilomètre un pré qu’il allait faucher, toujours accompagné de maman et du petit Marcel revenant assis tout en haut du tas de foin. Nous disposions d’un autre terrain à Daspich, en vallée de la Fensch, où mes parents plantaient de tout, y compris des pommes de terre et du blé. Pas de repos si l’on voulait manger en temps de guerre. Père faisait les « trois huit » et il avait donc toujours une demi journée de libre. Je devais souvent suivre mes parents mais leur faussais compagnie une fois au champ. Nous battions notre blé au fléau, les épis préalablement mis en sac dans la cave et faisions ensuite du « marché noir » avec le meunier du village qui nous procurait la farine.

Une fois je vis venir deux Ukrainiennes, que père avait recrutées à l’usine. Elles venaient d’un camp de travail réservé à ces femmes déportées. Elles nous aidèrent à battre ce blé qui nous paraissait aussi précieux que leurs cheveux restés d’or. Ce fut un gai dimanche où ces deux jeunes femmes mangèrent du lapin et des pâtes faites maison, à notre table.

Le vécu de cette enfance fut ainsi aussi riche d’événements heureux que de malheureux. J’étais un gamin insouciant pour lequel cette guerre devenait un jeu exaltant: avions qui sillonnent le ciel en vagues successives et quotidiennes, surtout en 43, bombardements, ...

Une autre fois, c'était une « forteresse volante » touchée et qui, avant de s’abattre, lâcha sa charge dans les jardins de notre village, des bombes au phosphore de 500 kgs. L’une tomba à 15-20 mètres de moi qui m'étais étendu le long d'un muret de jardin. Elle n’explosa pas, comme par miracle. Et de trois..., déjà. Pendant qu’un tapis de bombes s’était déployé simultanément autour de la proche cimenterie, l’une obstrua l’entrée d’un abri dans lequel nombre d’habitants s’étaient réfugiés pour...y périr. D’ailleurs, nous les "gosses" n’étions pas loin, comptant les grosses bombes qui tombaient, bien visibles. Juste avant que le jour devînt sombre et que le souffle secouant l’air fît trembler les murs et le sol. La peur, pour la première fois, m’avait fait me relever de terre, emportant serrée dans chaque main la touffe d’herbe à laquelle je m’étais agrippé auprès de ce muret. Notre demeure était toute proche du lieu où je m’étais allongé. Je rentrai indemne. Sans me soucier de la suite....

Les prodiges allaient se poursuivre. Plusieurs de ces bombes avaient été larguées en file, comme des grains de semis, par le bombardier en perdition. Deux seulement explosèrent en jardins à l’arrière de maisons, formant des entonnoirs d’une dizaine de mètres d’envergure et de profondeur. Ma bombe... est sans doute toujours au fond de son trou en forme de clairon tordu à l’horizontale, à plusieurs mètres de la surface et qui n’a donc pas servi à sonner la mort. Quelques mois après cet événement, une entreprise fut chargée par les Allemands d’extraire les bombes accessibles. Celle-ci abandonna vite un premier essai, mais réussit à sortir de terre l’une de ces bombes. Comme elle ne put être chargée sur un camion, elle fut attachée derrière et traînée lentement sur la route.

Je vois encore la situation. Père assistait au passage du camion et de la bombe. Fort de ses expériences à la première guerre mondiale, il émit l’avis qu’ils n’iraient pas loin de cette façon avec cet engin. L’équipage, à découvert sur le camion, buvait et chantait. Nous enfants, quelques badauds et chiens, suivîmes ce périlleux cortège. Deux copains rappelèrent que nous devions à ce moment aller au catéchisme. Moi qui n’y allais jamais, je partis avec eux ce jour-là - et je sais aujourd’hui seulement pourquoi. A peine assis sur les bancs dans l’église de Florange, nous entendîmes une forte explosion. Quoique distante de plus de deux kilomètres, elle fit trembler les vitraux. Nous comprîmes qu’il devait s’agir de la bombe et en informâmes le prêtre qui partit aussitôt vers Daspich avec nous courant derrière sa bicyclette.

Le spectacle en plein centre commercial de ce bourg était effrayant. La bombe avait explosé en touchant la voie en fer du tramway. Le camion n’existait plus. Les proches façades avaient été touchées par du phosphore et brûlaient. Tous les passants à proximité étaient déjà calcinés à notre arrivée, noircis, rapetissés, méconnaissables. Je vois encore une mère avec une poussette et son enfant carbonisés, réduits à l’état de momies et de tubes de fer tordus; des personnes courir dans leurs vêtements enfumés. Il y eut de nombreuses victimes et nous des... miraculés. Ce n’était pour moi que le cinquième prodige et point encore le dernier. Mais je n’en fus alors nullement conscient, trop préoccupé à apprendre à connaître des choses, à aspirer l’air frais de la vie en prévision d’en prolonger le souffle initial. J’étais encore si proche de mon premier cri.

 

La guerre tirait sur sa fin. Père et mère espéraient la paix. Chaque année au mois de mai, nous partions traditionnellement de bon matin à pied dans la grande forêt de Moyeuvre, en enjambant le raccourci du Justemont. Nous rentrions le soir tard, fourbus mais heureux, avec du muguet et de nombreux bouquets d’aspérules des bois. Mère en préparait une délicieuse liqueur. Recette : quelques brins, en alsacien du «Waldmeister» (le maître des forêts), trempés une nuit dans du vin sucré - et père faisait sécher le restant de cette plante odoriférante pour la fumer dans ses pipes. D’autres fois, nous les gamins allions grappiller des cerises à Fameck, là où leurs noyaux avaient pris racine en terre couleur de fer. Ce mont reste un filon riche en minerai, après la mise à l’arrêt des bennes de convoyage téléphérique vers les hauts-fourneaux d’Uckange. Le Justemont donnait sur la vallée de la Moselle et, à moi, d’en haut sa vision me poussait à aller voir la ... rivière.

La famille de Wendel, propriétaire de mines de fer, de haut-fourneaux, de laminoirs, de fonderies, d’ateliers de métallurgie, de toute une sidérurgie avec ses crassiers flamboyants de scories du fer, de la rivière Fensch brunie de rouille, de canaux, de bois, de châteaux, de terrains, de cités ressemblant à des barres de fer carré, du haut pays de Moselle presqu’en entier. Elle logeait Italiens, Polonais, eux surtout, en cette période d’avant-guerre. Toute une région donc sous couvaison, sous protection. Aucun risque, surtout d’être bombardés.
Et les nazis, le sachant, en profitèrent pour produire bien plus que la France auparavant. L’entente tacite - mais non tout à fait secrète - régnait bel et bien entre Allemands et Américains. Toutes les nuits étaient illuminées par des coulées de laitier formant crassiers rougeoyants, éclairant les cheminées d’usines - phares balayant hauts mâts. On pouvait parfois distinguer les forteresses volantes de nos alliés, après les avoir repérées à leur bruit pesant et continu. Elles formaient vagues submergeant la Moselle, le Rhin, pour aller briser le moral des villes. Thème propagé: mettre la population hors d’elle contre le Führer. La flak (DCA) n’existait même pas chez nous. Partout les hauts dignitaires militaires étaient aux ordres de politiciens et ceux-là aux pieds des maîtres de forge réfugiés aux Etats-Unis, en Angleterre, et certains à fond de château perdu dans la France occupée. Hitler n’aurait certainement point pu perdre la guerre par manque de canons... Faut le savoir.

Je témoigne que durant ces quatre années de guerre mon père fut à l’abri comme personne lorsqu’il était à son travail en ces usines sidérurgiques rebaptisées Hermann Goering Werke.

Le seul bombardement opéré fut celui de la dite « halle » située à Daspich. Usine en laquelle les Allemands fabriquaient tranquillement des grenades. La plupart des bombes manquèrent d’ailleurs leur objectif, la cimenterie d’à côté incluse, mais non cet abri bondé de civils - et dont j’ai eu à évoquer la tragédie plus haut. La « halle » fut rasée après la guerre et l’on y construisit à la place le premier laminoir à froid de la devenue célèbre Sollac. Les anciens haut-fourneaux de Thionville et d’Uckange, près de rive de la Moselle, coulèrent également des tonnes de fonte pour les besoins du « Reich », comme d'autres sur rive de Fensch et d’Orne.

A part quelques raids ciblés sur des trains au repos en voie de triage et une attaque spectaculaire de ce type d’avion en piqué sur le fort d’Illange, proche de l’autre berge de la Moselle, les habitants de la rive industrielle n’avaient été arrosés que d’eau bénite, sinon d'accidents....

La politique américaine de destruction calculée - par intérêt mercantile des villes populaires allemandes, et de préservation des industries de l’acier - s’était ainsi déjà révélée à nos yeux de gamins. N'avions-nous pas vu son armée s’employer vite à reboucher les immenses trous de bombes qui avaient manqué la « halle », avec des surplus de produits d’usage ? - car nous les déterrions la nuit venue. Le Plan Marshall était bien prévu pour permettre la relance de l’économie capitaliste, c'est-à-dire la soumission définitive du peuple allemand, puis de tous les peuples européens.

Mais venons-en à l’approche de la Libération : août-septembre 44. Une patrouille de chars américains descendit la longue artère passant par Hayange jusqu’à Thionville. La rumeur libératrice les suivit mais ne se concrétisa point. Cela fit seulement s'enfuir des collaborateurs et quelques soldats de la Wehrmacht. Un long train de marchandises se trouvait bloqué entre Ebange et Uckange. Il était rempli de divers produits fabriqués en France et donc volés, dont de la nourriture. Les proches villageois finirent par repérer le convoi et à en faire leur butin (Action alors couverte par la Résistance).

Nous, les gamins, étions parmi les premiers à fouiller quelques wagons. Père n’était d’abord pas disposé à participer à cette opération. Puis la rumeur se répandit : il y avait abondance de sucre et autres victuailles. Mes parents finirent par y aller au bout de quelques jours d’hésitation. Forte réticence du père.

C’était un dimanche. Moi j’y étais allé à part avec les copains, en un autre bout du train. Et c’est alors que la population fut soumise à un tir de mitrailleuse, sans sommation. Il y avait beaucoup de monde qui courait dans les champs. Je ne vis pas mes parents. Mère rentra la nuit, seule à la maison. On trouva mon père avec quelques dizaines d’autres victimes, le lendemain. Père semblait n’avoir qu’un petit trou dans la nuque, comme je dus en faire le constat à l’âge de treize ans. Il aurait subi un tir de grâce à bout portant. Il ne saignait point.

Aucun prodige ne s’était donc accompli en ce jour, du moins je n’en fus pas averti cette fois-là. J’ai toutefois gardé le sentiment de la présence virtuelle de mon père, tant qu’il me manqua en la réalité suivante de vie. Les Allemands étaient partis, les Américains pas encore venus. Il y eut "L'offensive de Von Rundstedt". Le corps de mon père ne pouvait pas être enseveli, car des Allemands étaient revenus et voulurent évacuer la population. Mère et moi prîmes la route, suivîment un cortège avec notre charrette à bras remplie d'un strict nécessaire (Mère courage...). Après quelques kilomètres, l'ordre vint de retouner en nos foyers. La Libération fut ensuite aussi "drôle"...Plus tard, un pasteur-paysan d’Ebange s’occupa des démarches administratives pour ma mère. Dieu me semblait savoir reconnaître les siens, ceux qui n’avaient jamais cru qu’au ciel cosmologique (ainsi que mon père), mêlés à ceux qui croyaient à sa divinité. Comme seule la terre de nos champs peut se souvenir de la fatigue des pieds de soldats inconnus.

Les Américains stationnèrent environ un mois en rive gauche de la Moselle. Les Allemands tinrent celle d'en face, nous envoyant chaque nuit quelques obus, depuis le fort d'Illange... Les soldats américains s’ennuyaient et gavaient la population. Quelques-uns logèrent dans notre maison. Mère leur lavait le linge.

Ils dormaient dans une partie de la grande cave, et nous dans une autre. Des boys très corrects. Nous entendions les tirs nocturnes, tant des proches batteries américaines que des allemandes lointaines. Le sifflement des obus nous permettait de localiser la distance d’impact. Jusqu’à cette nuit où le coup sembla avoir avorté, car nous n’entendîmes rien passer par-dessus ni rien sauter au loin, mais une terrible et proche explosion. L’obus de gros calibre était tombé derrière notre cabane à lapins. Les éclats l’avaient transpercée, d'autres les murs de la maison, pour entrer dans le plafond de notre chambre. Personne ne nous avait dit de coucher dans la cave. Les voisins dormaient.sans crainte dans leur lit. Nous, nous imitions simplement les soldats...Chance, ou ... ? Passons.


Des années plus tard, au retour d’un voyage en Irlande, nous roulions vers le ferry de Roslar. Je m’arrêtai un instant, il y avait un lac admirable au fond du paysage.Subitement pris d’une légère anxiété, je sentis venir un proche et grave événement, déroutant, car j’étais parfaitement heureux du voyage, tranquille par l’avance prise sur l’horaire. Le temps était clair et rien ne devait arriver à mon sens et avec ma prudence. Au point que je redémarrai sans éprouver le besoin de mettre la ceinture de sécurité. D’autant plus que le trafic sur cette nationale menant à Tulamore, en plein centre du pays, restait modéré. Même l’étroitesse de la route et la conduite ici à gauche arrangeaient mon allure débonnaire mais restée prudente. J’oubliai cependant l’avertissement ressenti une heure auparavant, le souvenir d’un si faible signe d'inquiétude. La mémoire me revint évidemment des heures après l’accident et grâce à lui, mais la gravité du moment dépassait l’événement précédent. J’aperçus à une centaine de mètres devant notre Citroën rouge, un camion roulant sur la droite, s’approchant de notre voiture qui circulait dans le bon sens réglementaire. Je faisais du soixante à l’heure sans freiner car je pensais que le camion allait mieux se rabattre de son côté. Mais non, il maintint sa file, continuant en gardant également sa vitesse, faible heureusement. Le choc de la rencontre fut néanmoins brutal, imprévu. L’Irlandais sortant de son camion sembla hébété, comme si la couleur rouge de notre voiture l’avait effrayé. L’avant de notre véhicule était sérieusement touché, puisque le moteur ne voulut plus tourner. Ma compagne avait eu une côte brisée par la ceinture; moi le buste amorti par mes avant bras posés sur le volant, je n’eus que quelques égratignures aux genoux. Le comportement du chauffeur m'intrigua tout de suite : il reconnaissait sa faute de conduite, le regard sidéré, comme si l’accident avait échappé à sa volonté. Et plus tard, ma conscience redevenue lucide, je me posai question, et il me revint en mémoire ce problème prémonitoire m’avertissant de l’imminent danger.


Octobre 1992. Je procède à un curage général de mes bassins. Lors de ces travaux, me souvenant des difficultés de sauvegarde des poissons, je décide de construire un muret de séparation immergé en profondeur dans un bassin, de façon à me faciliter à l’avenir ce travail de nettoyage périodique que je redoute. Avec raison, vu mon âge et ma santé. Aucun signe particulier d’inquiétude ne se manifestant jusque là. L’opération est bien réfléchie.

Arrive fin décembre de la même année. L’hiver débouche brusquement. Le thermomètre descend à moins dix en une nuit et il continuera de chuter. Je n’ai pas terminé la mise en hivernage d’appareils plongés en eau qui a gelé. Je décide de percer une paroi pour soulager la pression de cette glace à l’intérieur d’un puits en PVC. Ma position de travail est inconfortable et puis le foret n’arrive pas à pénétrer la paroi, malgré la douceur de la matière plastique. La contre-pression fait obstacle. Je dois effectuer un effort, comme s’il s’agissait de percer de l’acier. Il fait très froid. Je suis bien habillé et j’ai chaud. Je m’arrête, ressentant un début d'évanouissement. Mon esprit me suggère de rentrer dans la maison. Je monte deux escaliers, deux étages, sans problème, m'allonge sur le lit. Une sensation de chaleur subsiste en ma tête. Je pressens la gravité de mon cas et fais appeler le médecin. Je reste conscient mais deviens anxieux, car je commence à trembler des jambes. Le médecin me demande de me lever. Je descends du lit, et mon corps s’écroule sur ses quatre membres pantelants, de mannequin désarticulé. L’attaque cérébrale ne me surprend pas. Je m’y attendais...

 

Je vais tenir compte de seulement sept prodiges qui méritent à présent quelque explication. En apparence la raison ne semble pas entrer en cause. Elle en sort pourtant, mais tel qu'effet qui rétroagit, répond à la cause. Je trouve la raison de circonstances évoquées, sans l'avoir cherchée. Et c'est toujours la même : un avertissement intime. L'expliquer autrement, ce serait faire référence à de l'irrationnel ou, alors, à du rationnel pur et donc seulement à des choses matérielles, dépourvues de spirituel, à du corporel amputé de la pensée, manquant de souffle. Non, la raison, selon moi, ne se limite point à cette objectivité concrète. La raison n'a pas encore acquis de définition scientifique, alors qu'elle réalise le support de l'esprit scientifique, qu'elle incarne une logique évidente - unique.

Mais, cette raison absolue implique un processus d'imagination, intégrant du sentiment, formant le coeur de la pensée. La raison représente ce coeur de la pensée ! Je l'affirme. Restera à le prouver, par la raison.

Conscience, pensée, imagination, raison, esprit, sentiment, mémoire, on en connaît les modes d’expression, le support fonctionnel, neurologique, localisé dans le cerveau humain. Mais l’on ignore leur réalité physique. Le "comment ça marche" et le pourquoi de ces facultés. Les hypothèses à leur sujet restent insatisfaisantes. Leur interprétation idéaliste ne manque pas. Normal puisque la raison n’intègre point l’imagination créatrice, se limitant donc à la logique formelle, à l’objectivité matérialiste, au scientifiquement correct, au subjectivement manifestement évident.

Ainsi commençons par revendiquer le "non manifestement évident", le droit d’émettre l’hypothèse utopique, comprenant la notion de devenir, d’action en cours d’affirmation, de dialectique. Nous utiliserons alors des catégories du mouvement : le processus, l’unité des contraires, la cybernétique, la relativité, la physique quantique.

Je vais préciser ma pensée. Premier constat à propos de "mes" prodiges : ils ont un caractère d'avertissement. Deuxième constat : ils annoncent un danger imminent mais évitable. Troisième constat : ils sont infus, implicites, mais semblent vouloir déterminer de l'explicite, une diffusion. Tout se passe "comme s'il s'agissait d' un message...". Les prodiges en question suscitent en fait, maintenant, des réponses à des problèmes posés, évités - qui devaient être évités et le furent. Pourquoi ?

 

 

INTERPRETATION

 

Partons de la cosmologie, d’une phylogenèse, pour aboutir à une ontogenèse. De l’espèce à l’individu....

Nous savons que l'Univers est rempli de galaxies, que chaque galaxie est composée de milliards d’étoiles. Que la Galaxie dont fait partie notre Soleil est un monde à part, séparé des autres galaxies, lesquelles sont donc autant de mondes. Et si nous ajoutons que les étoiles sont entourées de planètes, lesquelles ont une évolution caractérisée de matière en transformation, il serait fastidieux de se représenter le sens, le but, et l’état actuel, passé et futur, de ces différents astres. Les plus puissants ordinateurs ne rendraient pas compte des histoires individuelles infinies existant dans ce super univers. Point n’est besoin de recourir à la loi des probabilités concernant la présence de vie, pas même en réduisant son existence au milliardième des cas favorables. Ici la notion de « bon sens » prend une valeur absolue, disqualifiant la chance et le hasard, qualifiant la nécessité certaine, souveraine, et le déterminisme probable en considération de la Vie. Dieu devient un nom évocable, discutable, pour le plus critique des athées ou des cartésiens. Celui que je suis.

Si donc Dieu devient possible, il faut se le représenter en qualité d’état d’esprit d’une civilisation extrêmement évoluée caractérisant une planète d’un système gravitaire intergalactique. Les êtres de ce monde auraient acquis l’immortalité grâce à leurs connaisances, leur capacité de communication par la physique quantique, peut-être avec les neutrinos, particules élémentaires sans masse dont la vitesse de déplacement dépasse celle de la lumière. La maîtrise de ce moyen donnerait le pouvoir de compression du temps et du dédoublement de l’espace concernant ces particules et permettant l’interaction circonstancielle avec tel cerveau humain, en certaines conditions. L’on peut alors sérieusement envisager la possible relation entre la vie terrestre et celle d’un autre monde, ceci depuis toujours et peut-être encore maintenant. Partons de cette hypothèse - non religieuse -, donc simplement d’une histoire probable, possible, et efforçons-nous de l’expliquer par la raison.

 

 

Reportons-nous loin en arrière. La Vie n'existe pas encore sur Terre, seulement sont apparues des conditions physiques favorables. Elle existe alors déjà ailleurs, sur d'autres terres, de stade plus ou moins évolué, probablement quelque part même très en avance comme en d'autres lieux seulement à l'état primaire. La Vie est de nature universelle, au même titre que la matière.

Dieu - qui représente l'Esprit d'êtres à notre image - intervient. Car l'Esprit est également une caractéristique de la nature, précisément le degré suprême de cette universalité. Il (ils) - Dieu - crée de la vie sur notre planète ou agit de sorte qu'elle arrive avec assistance, ce de façon déterminée puisque conditionnée par un état planétaire favorable. N'est-ce pas ce que suggère l’universel code génétique existant aujourd’hui - donc préexistant - aussi bien dans le règne végétal qu’animal? Ce code, par son caractère identique et unique de principe, simple dans sa structure logique, ne peut qu’avoir suivi une pensée intelligente - et non l’avoir précédée. Et ceci surtout par le fait qu’il s’agit d’un langage physico-chimique dont la complexité laisse supposer être le résultat d’un « achèvement » et non faire fonction d’un « commencement », ceci au regard de la théorie de l'évolution.

Or cette théorie, juste en considération de la durée, du temps nécessaire à l'élaboration de la perfection, ne peut donc pas prévaloir, puisque le départ du vivant devrait par principe être de constitution élémentaire et non point supérieure. Et le code génétique apparaît bien qualitativement d'ordre supérieur. En fait, la création n'est nullement contradictoire avec l'évolution. Seul le « créationnisme » biblique n’a point sa place ici. L’expérimentation scientifique non plus. Nous sommes au coeur d’une imagination créatrice objective - non pas fantastique ni fantaisiste, non plus littéraire ou philosophique mais... matérialisante !

La suite nous croyons la connaître. L’important suppose une prédétermination, par du prévu caché dans ce code hélicoïdal de l'ADN. Afin que les créatures vivantes successives prennent une certaine direction, tout en restant libres. Ce qui fait qu’il n’y aura point d’antagonisme entre l’inné et l’acquis. Ce sera l’évolution complémentaire, s’orientant naturellement, sans dirigisme - sans Dieu. Du moins pendant des centaines de millions d’années. Jusqu’au moment où un anthropoïde se transforma en l’homme qui, aussi consécutivement, imagina Dieu, devint apte à penser comme lui, ou à ressentir sa présence par personne interposée. Et puis cet homme finira par recréer Dieu, au travers de son genre, mais non plus selon son visage. Comme voulu au départ. D’après sa pensée, à l’image de sa raison. Ce sera une matérialisation de l’esprit, via la science et la technologie. L’ère du robot commençant, son créateur l’accompagnant, sans plus de vénération, le comprenant enfin !

Chacun peut-être ici bas, du moins certains cerveaux, quelques esprits prédisposés, forment autant de chargés de mission. Ils ne le savent pas, ou n'en ont qu’un pressentiment, celui d'une sorte de sainteté virtuelle ou potentielle. D’autres, ne ressentant point la « foi », ne font guère attention à ce qui leur arrive opportunément en bien. Ils ne pensent pas avoir échappé à un mal, ni surtout d’avoir pu être sauvés. Ils croient au hasard, à la chance et, dans ce dernier cas, ils veulent surtout que ce qui leur arrive ne passe pas pour superstition. C’est tout.

 

 

L’intervenant ne peut pas se démasquer. Pas encore. Mais il semble nous conduire à le faire. Et même de plus en plus vite. Comme s’il était pressé d’arriver à sa fin. On pourrait même le comprendre.Un fils de Dieu n’avait-il pas déjà prévenu, il y a deux mille ans, disant « comprenne qui pourra » ? Car personne ne le pouvait, sinon un seul, en ce temps-là. Mais tout resta à prouver, à démontrer, à le pouvoir. Enfin « le temps est proche »; en tout cas maintenant le manifeste de Dieu s’approche !... Bien entendu, si celui-ci existe.

Nul ne peut y croire. Moi non plus sous le mode mythique, déiste, religieux. Dieu, créateur de la Vie, s’il y a lieu, ne peut être qu’une créature spirituelle partant de matière, faite de chair, et sans doute même éternisé sous forme de robot pensant, conscient, intelligent, puissant, érudit et sagace, se prolongeant ainsi immortalisé dans son oeuvre, prêt au rayonnement universel. De l’esprit transformé à ce point (en particules quantiques) ou de la matière transformée en esprit (en champ quantique).

Impossible, ou du moins plus que difficile, de se représenter le « pur esprit ». Matière et esprit sont inséparables, primes amoureux de l’Univers, marquant des cellules génératrices de la Vie. L’autodynamisme de l’évolution conduit nécessairement à Dieu, lequel est donc incarnation de la raison au coeur de la pensée, synthèse d’opinions, idée lumineuse, connaissance finie. Unique et suprême intelligence dans notre Galaxie, ou/et peut-être au fin fond d’Univers. Au pouvoir relatif, non absolu, seulement créateur de « commencements », dans le cours d'une évolution. Création circonstancielle et brève par rapport à l’évolution consécutive dans la durée. La première organisée, logique, ordonnée, déterminée; la seconde libre, dialectique, conditionnelle.

Quand Dieu est esprit, sa raison se module de pensée à un rayonnement électromagnétique ou autre onde, en modulation d’amplitude ou de fréquence, en continu ou de manière discontinue, probablement réduite à un langage de nature quantique. La physique enseigne aujourd'hui que tout ceci apparaît de façon ni pondérable ni visible par nos sens directement, mais est techniquement détectable en qualité de matière faite de corpuscules. L’esprit est de caractère ondulatoire, la matière est de caractère ponctuel. Ce sont là deux aspects qui apparaissent irréductibles l’un par rapport à l’autre, indépendants et unis pourtant ! L’on peut comprendre aujourd’hui, par la logique et la science, ce qu’autrefois l’on entrevoyait seulement par l’imagination et la croyance religieuse. Cela va de l'âge des incertitudes à l'heure de la certitude. Avec le risque que comporte cette certitude : une prise de conscience qui n’agit point en conséquence. Une réaction venant trop tard. Le laisser faire jusqu’à mourir d’inaction. Comme une fatalité. Le suicide collectif par défaillance de la pensée, la dégradation de sa raison ...

L’on peut aussi dire qu’en premier lieu et temps, l’esprit nous vint; qu’en second lieu et temps, l’esprit déjà commence à nous quitter. Après cette conscience d’être, vint la conscience de pouvoir et de connaître. Scientifiquement. Pas toujours sagement. Pas encore raisonnablement. A petits pas. Il y eut métamorphose... L’homme partant en éphémère, une nuit. Court sera le jour. Notre vol diurne dans la lumière maintenant peut-être s’achève. Sommes pressés...Oui, regardez donc, l’allure des découvertes scientifiques et des applications technologiques !... Avec quelle hâte, course au profit financier aidant ! La croissance matérielle motivée par un rendement immatériel. La production de biens dédoublée par la production du mal : l’argent. La pensée de Dieu a sans doute sa raison qui pointe....Faut-il en frémir, attendre, ou en rire ? Frémir... Oui. Attendre quoi ? En rire plutôt qu’en pleurer.

Sans doute. Quoi d’autre ? Mais penser à créer, à inventer un meilleur monde ! ...

 

 

J’arrête là...Ma pensée aura, pour l’essentiel, accompli la mission de la raison. Oeuvre de ....Dieu ? On verra....

D’autres prodiges, mais de moins en moins, finiront par montrer d’où nous venons, vers quoi nous allons, ce que nous devenons. Après le besoin d’avoir. A la suite du plaisir de faire. Par le désir d’aimer. Avec la joie de comprendre.

Dieu se découvrira en se perpétuant à travers l’homme qui transmettra, en bout de savoir, à son tour, la logique de la vie, ailleurs, sur différentes planètes, auprès d’autres soleils.

 

Marcel Wittmann - 1 9 9 7

« Comprenne qui pourra »

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