P R O L O G U E

 Cette oeuvre est à la fois objet et sujet de ma pensée, presque uniquement dans la mesure où elle a d'abord un caractère inventif et qu'elle relève d'une instruction plutôt autodidacte et existentielle que d'école. Je pourrais ajouter : manuelle, de par ma profession d'ajusteur et d'inventeur, de technicien expérimentateur. Mes compositions littéraires, philosophiques et poétiques, partent de l'expérience appliquée de mes mains. Elles ont littéralement formé mon esprit. Au point que ma hantise de ne plus pouvoir m'en servir, suite à une hémorragie cérébrale dont je garde une parésie côté droit (hémiplégie relative), m'a paradoxalement aidé à retrouver mes facultés droitières, l'intégralité de mes idées de gauche. Leur développement même, si je les compare... Ce qui fait que je ne peux plus me classer moi-même ni l'être par autrui, dans aucun parti politique. Après avoir suivi quelque part le parti communiste français, je garde ma considération pour la plupart des camarades avec lesquels j'ai milité dans la sidérurgie lorraine des années 60.Le marxisme n'a point quitté ma conscience de classe, pas plus que l'idée communiste ne peut sortir de ma pensée. (Seule ma vie s'est embourgeoisée). Ce n'est pas l'idée qui trahit l'homme, c'est l'homme qui renie son idée. L'histoire est remplie de faits tragiques, exagérés ou réduits ensuite par leurs auteurs, leurs exécuteurs. Dans ce jeu de l'avoir contre l'être, les gagnants et leurs serviteurs s'arrangent toujours pour fausser ou enjoliver des choses. Mais les vaincus, eux gardent la mémoire, même quand il n'y a plus d'espoir. Si elle n'est point remplie, ses lacunes se retrouvent, s'inventent, donc se repensent. Car la pensée existe hors le temps. Avec la conscience, la pensée intègre le passé au devenir et donc imagine un présent tout le temps. Des absences on n'a pas à désespérer. Si ce n'est pas aujourd'hui, demain elles reviennent, deviennent en un lendemain. La pensée s'en charge. L'invention de l'ordinateur va considérablement augmenter notre mémoire, notre capacité de travail, notre rapidité d'action. En prévision de cette " Entrée en lendemain..." (3° Mandat de raison).

Je pourrais citer Brecht à propos du rôle politiquement engagé de la pensée... Je préfère donner la parole à l'académicien Michel Serres. Avec eux, tranquillement, nous traiterons de la fonction prospective universelle de la pensée humaine. Les actions de la pensée, sa raison d'être, déterminent de plus en plus toute vie sur la Terre. On ne peut plus rien laisser au hasard. Située en plein coeur de la pensée, la raison a seul droit d'acquérir le pouvoir, pour permettre de dépasser un conditionnement et les rapports de forces. Ni l'état sauvage existant dans la nature, ni le jeu économique et électoral de marchés dans la société, ne peuvent être pris comme modèles. Un juste ordre doit pouvoir jardiner la vie terrestre. L'état de mouvement dialectique, de sélection du plus fort sans raison, peut et doit donc être transformé en un cybernétisme régulateur basé justement sur la raison ! Définir la pensée, c'est se référer à un devenir concret, nouvellement inventé, et qui se fonde sur la raison par l'expérience, la pratique, la recherche, la conception. Michel Serres le suggère de manière exemplaire dans le "Tiers Instruit" :

" Le but de l'instruction est la fin de l'instruction, c'est-à-dire l'invention. L'invention est le seul acte intellectuel vrai, la seule action d'intelligence. Le reste ? Copie, tricherie, reproduction, paresse, convention, bataille, sommeil. Seule éveille la découverte. L'invention seule prouve qu'on pense vraiment la chose qu'on pense, quelle que soit la chose. Je pense donc j'invente, j'invente donc je pense : seule preuve qu'un savant travaille ou qu'un écrivain écrit. A quoi travailler, à quoi bon écrire, autrement ? Dans les autres cas, ils dorment ou se battent et se préparent mal à mourir. Répètent. Le souffle inventif donne seul la vie, car la vie invente. L'absence d'invention prouve, par contre-épreuve, l'absence d'oeuvre et de pensée. Celui qui n'invente pas travaille ailleurs que dans l'intelligence. Bête. Ailleurs que dans la vie. Mort. "

Non, ce texte n'a pas la prétention de nier la pensée qui n'accomplirait pas quelque invention au sens technique, ou selon la stricte définition de ci-dessus. Beaucoup d'actes quotidiens l'impliquent. Faire la cuisine, le ménage, bricoler, jardiner, en demandent aussi, militer politiquement en exige beaucoup. Son absence civique est signe de suivisme, de recul historique, de trahison politicienne. La pensée inventive est souvent faite de gestes simples que la personne croit effectuer par seul acquis de conscience, studieuse éducation. Mérite secondaire en fait. L'invention de l'ordinateur et du logiciel montre bien que la machine ne pense pas (du moins pas encore). Le premier mérite revient, par exemple, au programmeur ayant inventé un logiciel qui ne fait que le répéter; et lequel sert d'outil, facilite finalement l'application de notre propre pensée en face d'un écran. C'est un alignement ordonné, non dirigé.

L'invention du concept de Mandat de raison (intégré dans cette oeuvre) en qualité de méthode se proposant de mettre la démocratie à l'endroit, s'inspire de cette propriété de la pensée - entre autres. Il apparaît en effet manifeste que la démocratie qui est en vigueur fonctionne à la façon d'une société de fourmis, obéissant à un ordre collectif et non individuel, faisant d'un quantum d'électeurs l'objet d'un sujet. Le collectivisme est inscrit dans l'institution bourgeoise de la démocratie. Cela est "non manifestement évident" pour toutes celles et tous ceux qui ne ...pensent pas, qui se contentent de suivre seulement des mots d'ordre leur plaisant, de soumettre leur conscience motivée par d'étroits intérêts. Et votent ensuite avec cette procuration en tête. Il n'est pas besoin de faire comprendre que toute majorité bénéficie généralement de ce préjugé machiste. Et je suis encore loin de tout dire à propos dans ce prologue, invitant simplement le lecteur-électeur à ...penser. A élaborer différentes références de jugement, dont ce critère particulier, par exemple. Il faut tenir compte, logiquement, de critères négatifs et pas seulement positifs. La notion de démocratie ne peut pas que faire valoir une majorité de voix - qui généralement ne brille pas même par du bon sentiment -, mais fait suffisamment d'ombre aux minorités pensantes, et ne s'assoit jamais à la table de la raison toujours et partout seulement unique, et donc absente ! Et quand les hommes ne sont pas dignes d'un jugement sélectif intègre, ne faudrait-il pas inventer un critère absolu, garantissant l'impartialité, la vérité indispensable ?... Par un mandat de raison !...

Citoyen lecteur, à vous d' exprimer votre pensée profonde, la seule vôtre, à partir de maintenant, en vue d'un lendemain ; à vous le devoir de chercher et de trouver, d'inventer avec raison ce critère des critères absolument nécessaire !...

10 - 1998

 

 

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